BIOGRAPHIE

M'Hamed Issiakhem

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A Propos

Il est ici question d’une biographie synthétique de l’homme et de l’artiste M’hamed Issiakhem, et son contenu s’attache à rester aussi factuel que possible. L’angle de vue insiste sur l’héritage de l’artiste, un héritage que son œuvre et ses propos explicitent avec une profondeur de champs et une netteté sans détour. Le tout est renforcé dans ce texte par les éléments du fonds documentaire et le témoignage des plus proches.

Enfance

M’hamed Issiakhem est né le 17 juin 1928 à Douar Djennad une commune mixte d’Azzefoun en grande Kabylie. Cette région d’Aït Djennad a connu comme ailleurs une partition au sabre effilé du dernier colonisateur Français, avec l’arrêté du 03 fevrier 1895. Ainsi, la population autochtone avait à la naissance de M’hamed Issiakhem déjà expérimenté l’exil pour échapper à la domination coloniale, et chercher meilleure fortune sur le territoire berbère et les comptoirs côtiers historiques . C’est dans ce douar que se trouvera la commune de Taboudoucht qu’affectionnera particulièrement le peintre, une commune qui existera en tant que telle bien plus tard, érigée par arrêté du 30 novembre 1956.

Fils ainé de Amar Ben Arezki et de Oughemat Ouardia bent Mohammed, sa famille paternelle tenait un bain maure à Relizane Place du marché. De son véritable prénom Mohammed, il préférera plus tard la contraction M’hamed.

En bon fils ainé et autour de l’âge de quatre ans il y accompagnera son père à Relizane, ouvrant ainsi le premier épisode d’une longue série de séparations et de rendez-vous manqués avec sa mère. Elle restera en effet en Kabylie et les rejoindra lorsqu’il aura l’âge de douze ans. Dans l’intervalle, M’hamed Issiakhem sera pris en charge par des mères de substitution employées de son père.

Difficile de mesurer la détresse de la séparation et celle du long et pénible voyage. Du bouleversement des repères que fut cet arrachement à la mère et au pays de naissance.  

Il évoquera cet épisode dans le journal Révolution africaine de Juillet 1985 comme d’un songe obsédant

« Je suis resté avec le souvenir des couleurs de ma mère. Ma mère était très riche en couleurs, très très riche en couleurs. Ce sont ces couleurs-là qui me reviennent. Ce sont ces couleurs supportées par une masse qui est celle de ma mère qui me reviennent. Des couleurs violentes dans les champs brûlants. Surtout l’été, l’été… Je revois sa démarche, je revois ses pieds nus, je revois les coquelicots, je revois le blé… J’ai encore le souvenir d’une vache, d’une chèvre… C’est très vague dans ma mémoire. C’est vague. Mais je revois ces couleurs chatoyantes, ces couleurs brûlantes. Je me vois encore la suivre et très sensible à son dos, aux couleurs qu’elle transportait malgré elle. Elle ne savait même pas qu’elle transportait de la couleur. Pour elle, elle se couvrait d’un tissu à fleurs… J’ai toujours eu soif lorsque je côtoyais ma mère ou lorsque je la suivais. Et puis on s’est quitté. »

Il effectuera sa scolarité à l’école indigène où il entre en 1934 jusqu’à l’obtention du certificat d’études primaires élémentaires, dont une trace est toujours disponible dans les registres de l’école de Relizane. Il montre alors déjà des prédispositions particulières pour le dessin, et obtient même un prix du Maréchal Pétain décerné au meilleur travail. Rappelons, et De Gaulle s’en souviendra plus tard, que la France coloniale d’Algérie soutenait le Maréchal de façon assez majoritaire et bien souvent ostentatoire.

Photo de classe à Relizane (en bas de l’image. Deuxième en partant de la droite).

Il aura une enfance heureuse et épanouie entourée de nombreux camarades au sein d’une famille de commerçants relativement aisés. Il connaîtra la camaraderie militante des scouts musulmans dont il fera partie, des camarades que la guerre emportera plus tard les uns après les autres dans des conditions qui marqueront profondément l’homme. M’hamed Issiakhem prit de l’avance et l’innocence de cette enfance volera en éclat à la suite d’un évènement tragique qui marquera l’artiste et sa famille de façon définitive.

A la suite du débarquement Américain de 1942 avec son cortège de militaires et d’armements, les enfants de Relizane portés par la curiosité naturelle de ces âges finirent par s’attirer la sympathie des militaires Américains, et par être tolérés à leur proximité.

Débarquement allié en Algérie, source Wikipedia

Curiosité qui conduira M’hamed Issiakhem à s’emparer en juillet 1943 d’une grenade issue d’un dépôt américain, encouragé certainement par ses camarades scouts dont il a été le volontaire désigné. Cette grenade supposée être dégoupillée s’est trouvée être opérationnelle. Et la suite était inévitable.

Il apportera cette arme qu’il supposera inoffensive au domicile familial et la manipulera entouré de ses proches. Et puis c’est l’explosion. Ou comme il le désignera par cet euphémisme dialectal « Tkelmet «  traduisible par « elle parla ». Mais cette grenade ne fit pas que « parler », elle hurla très fort en crachant autour d’elle des éclats de métal et de feu.

Cela entrainera la mort de deux de ses jeunes sœurs Saadia et Yasmine ainsi que son neveu Tarik. Yasmine sa jeune sœur décèdera plus tard dans des circonstances douloureuses qui constitueront une fracture psychologique dont il ne se remettra jamais.

Trois autres membres de sa famille seront également blessés. Il en sortira miraculeusement vivant au prix d’une longue et douloureuse hospitalisation qui s’est étalée sur une période de deux ans. Période où se succèdent infections, gangrènes et retour à l’hôpital pour des amputations supplémentaires de l’avant-bras gauche. Ce qui se produira trois fois avant la désarticulation. Il y laissera également une phalange à l’index droit et bien d’autres blessures.

A la douleur physique insoutenable à une époque de pénurie de guerre, où l’on soignait à l’eau de Dakin, s’ajoute le souvenir du dernier regard de sa petite soeur Yasmine dont il était très proche. Il fut pour cette sœur cadette ce grand frère que l’on admire et que l’on suit partout.

Elle décèdera des suites de ses blessures aux poumons. M’hamed à l’agonie ne gardera qu’un vague souvenir de ce moment, mais il conservera en mémoire la douleur de sa mère qui priait tous les dieux pour qu’ils concèdent une chance, même infime, que survive sa fille.

Le décès de sa petite soeur Yasmine aura certainement un impact considérable sur l’homme et son oeuvre. Mais pas uniquement. Ce n’est que le début d’une vie d’épreuves qui ne peut laisser personne totalement indemne. C’est également le début de ce qui sera le second épisode de séparation avec sa mère.

Ajouté à la douleur physique intense des amputations, à celle des éclats dont il est débarrassé à l’unité et à plaie vive, il sera écrasé par une culpabilité sans cesse plus pesante à mesure qu’il se remettra et prendra conscience de la désolation laissée par l’explosion. Il lui faudra alors affronter le regard d’une mère en deuil, un regard d’une profonde douleur qui ne reproche rien mais n’absout rien. Le pardon est impossible, indécent, inutile. Une mère qui des décennies plus tard, lorsque son fils lui rendait visite à l’improviste à Oran, fermait la porte de sa chambre à clé pour que M’hamed ne vit pas la photo de sa sœur posée sur la table de chevet. Lorsque cette porte lui fut ouverte par l’entremise du mal entendu, il vit ce cadre et dormit avec contre lui.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, il lui fallait affronter les regards pesants et compatissants d’une ville à taille humaine, marquée par cet évènement. Il essaya sans y parvenir de retrouver sa place. Et lorsqu’il entendit la mère d’une possible épouse demander à la sienne une dot plus conséquente pour le manchot qu’elle vit dehors, il comprit alors qu’il n’avait plus rien à faire à Relizane.  Il prit la décision de laisser derrière lui une mère murée dans la douleur, et un père en deuil des ambitions qu’il avait pour son fils ainé.

Il finit par quitter le domicile familial et prendra un train pour Alger en 1947. Il a alors dix-huit ans. Il exaucera ainsi l’injonction de sa mère qui ne lui autorisait aucune lamentation « je ne t’ai pas mis au monde infirme..» lui disait elle. Ce qu’il décrira plus tard comme un acte d’amour filial, bien qu’il portera inévitablement le poids de la culpabilité du survivant et par la même le devoir de ne jamais fléchir.

« J’étais sérieusement au bord de l’abime. Il fallait absolument trouver un dérivatif quelconque. Il me fallait absolument trouver quelque chose à moi. Pourquoi ? Parce qu’on m’a toujours considéré comme incapable, impuissant ou je ne sais quoi, infirme.

« Extrait du film réalisé par Fawzi Sahraoui, diffusé par la RTA le 1er décembre 1985 ».

Il aura toute sa vie avec sa mère une relation tumultueuse, mais des liens indéfectibles et puissants. Pour en comprendre l’intensité, accélérons le temps des décennies plus tard lorsque M’hamed Issiakhem luttait contre le Cancer qui l’emportera en 1985. Sa mère lui rendant visite à Bainem, comprit rapidement et sans que nos cachotteries aient pu y faire grand-chose que ce mal était celui qui emporta son mari en 1971. Elle se leva d’un trait, et d’une phrase qui sonnait comme une sentence dit à sa belle-fille d’une voix calme et résolue « il est indécent qu’une mère parte après son fils». Quelques mois plus tard elle nous quittait d’un cancer foudroyant.

Cet évènement éclaire sur la relation complexe qu’il entretenait avec sa mère, c’est par ailleurs cette dignité des mères Algériennes que le peintre cherchera toute sa vie à exalter avec une fascination sans borne. Il en témoignera à de nombreuses reprises.

C’est ainsi à Alger et parmi des proches que débutera sa vie d’adulte.

Jeune Adulte

M’Hamed Issiakhem

Une vie où le drame personnel et Algérien se confondront dans une vision artistique qu’il cherchera sans cesse à affiner et à développer.

Soucieux de se prouver, ainsi qu’aux siens, qu’il n’était pas réductible à son handicap et qu’il pouvait lui aussi assurer le pain et le couffin, il envisagea d’exploiter son don pour le dessin, un don qu’une infirmière avait contribué à révéler lors de son hospitalisation à Relizane en lui procurant des feuilles et des crayons.

A Alger il s’inscrit à la Société des beaux-arts. Très vite remarqué pour ses capacités, il rejoindra par la suite l’Ecole nationale des Beaux-Arts d’Alger, où il y suit les cours de ronde-bosse, d’anatomie, d’art musulman, de peinture, de modelage, d’histoire de l’art et de gravure.

Il décroche les premiers prix d’enluminure, de céramique, de gravure ; les seconds prix de ronde-bosse, d’académie, de peinture (académie dessinée et académie peinte), de modèle vivant dessiné ; les deuxièmes mentions en torse dessiné et en portrait peint.

Tout en étudiant à l’Ecole des Beaux-Arts, il prend des cours chez le miniaturiste Omar Racim.

Il obtiendra dans les années 50 une bourse qui lui permettra de suivre des cours de gravure au collège technique d’Estienne à Paris.

Le voilà embarqué dans l’aventure artistique par défaut. Il faut pour comprendre l’homme qu’il était, et son exigence féroce envers lui-même et son art, intégrer la façon dont il percevait le chemin qui le conduisit du premier prix du Marechal Pétain à l’école de Relizane à son entrée aux beaux-arts. Il le résume mieux que personne lors d’une entrevue pour Révolution Africaine du 16 au 22  mai 1985 réalisée par Ahmed AZEGHAGH.

  « Je suis allé à la peinture par accident…La peinture me fait mal. Lorsque je peins, je souffre. C’est peut-être une forme de masochisme. Je suis peintre, ou me considère comme tel, mais pour moi c’est toujours dans le doute. Parce que je ne sais pas ce que ça veut dire, un peintre… Un peintre, pour moi, c’est une notion vague, lointaine… Disons que je fais de la peinture. Pourquoi j’en fais? Ça aussi je me le demande. Je ne suis pas venu à la peinture comme y sont venus des Français, des Espagnols, des Italiens… Eux vont à la peinture tout à fait normalement. Ils ont des repères, des traditions, la plupart viennent d’un milieu déjà cultivé. Ils sont nés avec la musique, avec les arts, ils ont été au théâtre. Tandis que moi, allant à la peinture, je considère que c’est le plus grand accident que j’ai pu subir dans le courant de mon existence. Il est peut-être plus terrible que celui qui a provoqué mon amputation…

D’abord nos parents ne laissaient pas libre cours à notre inspiration. Ils ne mettaient pas à notre disposition des crayons de couleurs, des pinceaux, de la gouache… Nous, quand on dessinait à la maison, le père venait, disait : qu’est-ce que c’est que ça? Et on recevait des coups, parce que dessiner, cela supposait qu’on était en train de perdre notre temps. Donc, déjà, dès notre plus tendre enfance, on nous coupait du dessin, de la peinture. Je ne peux pas te dire si j’aimais ou non le dessin en ce temps-là. D’ailleurs, je ne sais pas si le dessin ça s’aime ou non. Le dessin, à mon avis, c’est quelque chose d’inné chez l’être humain. Presque un réflexe(3). »

C’est à cette période qu’il rencontrera sa première compagne Georgette Christiane Pelcat, avec laquelle il aura une fille le 15 Octobre 1951 et qui sera prénommée Katia Patricia.

En 1951, son condisciple aux beaux-arts d’Alger Mahmoud Choukri Mesli lui présentera Armand Gatti venu couvrir pour le journal « Le Parisien Libéré » le procès des membres de l’OS (organisation spéciale), branche armée du MTLD, et Kateb Yacine avec qui il nouera une amitié particulière dont ce dernier témoignera.

« J’ai connu Issiakhem en 1951, à Alger, avec le cinéaste Armand Gatti. On a bu ensemble dès le premier jour, et alors que je venais à peine de le connaître, il tenait absolument à ce que je parte avec lui en Oranie, chez sa famille, à Relizane. Et depuis, on était pratiquement tout le temps ensemble. On a lié une amitié sans bornes, parce qu’il nous arrivait souvent de boire ensemble des nuits entières, d’innombrables nuits blanches, et même, parfois, le jour et la nuit. Et naturellement, nous parlions beaucoup. Je découvrais une très grande sensibilité, une très vive intelligence. M’hamed était capable d’avoir des centaines d’amis, et il voyait très vite ce qu’il y avait dans n’importe quel individu. De bien ou de mal, et il le disait. Il avait en horreur les hypocrites, et il y en a légion. »

Encouragé par ses professeurs et de nombreux soutiens, il est proposé au concours d’entrée à l’Ecole Nationale des Beaux-arts de Paris qu’il fréquentera de 1953 à 1958, notamment à l’atelier Le Gueult.

Il présentera ainsi le concours d’entrée et y sera admis officiellement le 30 Juin 1953

Archives de l’école des beaux arts de Paris

Il aura à ce sujet une recommandation de Jean-Eugène Bersier

Il y sera inscrit avec Choukri Mesli en section Peinture et Gravure.

M’hamed Issiakhem ne cessera alors de militer et de peindre. En 1955 sa toile « le cireur » est remarquée au festival mondial de la jeunesse et des étudiants de Varsovie(Pologne). Cette œuvre disparue rendait hommage aux enfants cireurs de rue appelés les « Yaouled ». Ils symbolisaient à la fois la profonde misère des populations autochtones, mais également l’enfance sans espoir de ces « indigènes » condamnés par le sort et leur condition de colonisé. Ils ciraient les chaussures dont ils étaient dépourvus.

Cireurs du temps de la colonisation

En 1956 il exécute le portrait à la plume de son ami Malek Haddad pour la quatrième de couverture du recueil de Poésie de ce dernier « Le Malheur en danger ».

« Moniteur d’Ergothérapie  dans le service du professeur Oury à la clinique psychiatrique Laborde à Cour-Cheverny, département du Loir-et-Cher, il obtient le prix de la Croix Marine pour plusieurs oeuvres, dont une, abstraite, intitulée La goutte de sang. Il refuse le « Prix de la Croix Marine », attribué par le ministère français de la Santé pour son travail en ergothérapie. Il dira pour s’en justifier « je sauve vos enfants malades pendant que vous assassinez les nôtres.. »

Séance d’ergothérapie à la Clinique Laborde (Cour-Cheverny)

Militant au FLN à partir de 1956, il a été mobilisé en 1958 sur instruction du comité fédéral.

En 1957, ses illustrations sur le thème de la torture en Algérie paraissent dans la revue « Entretiens sur les lettres et les arts », numéro spécial « Algérie » de février. Son portrait de Djamila Bouhired 

est utilisé par le FLN dans ses supports de propagande et d’information. Ainsi, la représentation du FLN en Allemagne l’exploite sous forme d’affiches et de cartes postales. « L’idée de peindre la femme m’est ainsi venue », dira M’hamed en 1969,en évoquant Djamila Bouhired, les femmes torturées. « Depuis je n’ai traité que de la femme, de la torture, jusqu’à ce jour », ajoutera -t-il.

Il s’exprimera plus longuement à ce sujet dans

Révolution Africaine du 16 au 22  mai 1985 réalisée par Ahmed AZEGHAGH

« Je suis très fidèle à la condition de la femme qui vit intensément sa condition de femme d’abord.. La femme…Mais c’est un sujet très abstrait! C’est un sujet très abstrait qui me situe d’abord du point de vue plastique… La femme pour moi, c’est quoi? C’est la source. C’est un sujet immense, illimité. Tu constateras dans mon œuvre que c’est apparemment le même personnage qui revient, mais dis-moi s’il n’y a pas de différence entre une œuvre et l’autre. On dirait peut-être que ce sont toutes nos femmes! Non, c’est la même qui se transforme, qui évolue, qui dégénère, qui progresse et tout cela en même temps. C’est une espèce de jeu entre elle et moi. D’ailleurs, c’est elle qui m’aide à aller chaque fois plus loin. Je dis qu’il n’y a pas plus beau qu’une maternité…(6). »

Recherché par les autorités Françaises il s’exile en RDA où il résidera en 1959.

M’hamed Issiakhem expose à la galerie Donilstraz de Leipzig. Ses oeuvres figureront aussi à l’exposition organisée en 1960 au « Club des Quatre Vents », à Paris, par le Groupe d’Afrique du Nord dont il fait partie.

Pensionnaire éclair en 1962 de la Casa Velasquez de Madrid, où il ne restera pas pour rejoindre Kateb Yacine à Paris, puis Alger en sa compagnie.

A l’approche de l’indépendance il sera en effet contacté en Espagne pour rejoindre Alger Républicain à Alger, ce qu’il fera avec Kateb Yacine rejoint en France avant leur départ pour Alger.

Il contribuera jusqu’en 1964 à ce journal, dans lequel il publiera des dessins. Activité qu’il continuera pour d’autres publications.

Membre Fondateur de l’Union Nationale Des Arts Plastiques (UNAP) en 1963, il rejoint l’année d’après l’Ecole Nationale d’Architecture et des Beaux Arts d’Alger où il dirige un atelier.

Nommé en 1966 professeur de l’Ecole des Beaux Arts d’Oran, il y assure également des cours.

Une période émaillée de conflits de « chapelle «  diront certains,  d’opposition entre figuratif et abstrait diront d’autres, il s’agira de débats de fond en réalité et sur lesquels il est essentiel de s’arrêter un instant.

S’y arrêter certes, mais sans anachronisme ni malentendu. Tous les artistes Algériens de cette époque étaient des héros, et M’hamed Issiakhem ne manquera pas de le rappeler dans le film qui lui sera consacré par la RTA et réalisé par Fawzi Sahraoui, diffusé le 1er décembre 1985.

Ainsi, il est fréquent de parler de l’opposition de M’hamed Issiakhem au courant Aouchem fondé par Mesli et Martinez.

A ce sujet, M’hamed Issiakhem s’exprimait dans

Algerie-Actualité de la semaine 14 au 20 Juillet de l’année 1968, propos recueillis par Zhor Zerrari

« La peinture, comme dans tout art, exige un minimum de vérité, exige la vérité sur soi. … La meilleure des preuves est qu’ils ont crée Aouchem – Ils nous ont imposé un ancêtre ». Ces propos directs posent assez bien le tableau.

Il considérait  que l’art avait une mission particulière, dans son pays récemment décolonisé et dont l’identité avait été déconstruite par de longues périodes d’invasion et de colonisations brutales.

La période était déjà bien agitée au sein même de la société algérienne. A la joie de l’indépendance a rapidement succédé de profondes désillusions. Une guerre civile éclair des régions de Kabylie qui allait connaître un effacement de plusieurs décennies de cette identité originelle du peuple algérien. Quant au rêve de liberté, il s’est rapidement écrasé sur les chars des armées des frontières en 1962 d’une part, des armées qui attendaient derrière et bien loin du front, et sur ceux d’un coup d’état en 1965 d’autre part. Pour ce qui concernera l’assassinat et l’enfermement de militants historiques de la libération, ce n’était déjà plus un tabou.

M’hamed Issiakhem, et d’autres, avaient compris que les acteurs de ce qui sera trente ans plus tard la scène des dix années noires du terrorisme, étaient tous déjà derrière le rideau. 

Une certitude pour le peintre ; cette identité ne pouvait être réduite aux limites propres des artistes.

Dans « El Moudjahid, 19 avril 1969 propos recueillis par Halim Mokdad  » il en parlait en ces termes « … Si le peintre ne vit pas, n’explique pas le drame de sa société, il n’est pas artiste… »

Il était pour M’hamed Issiakhem inacceptable, et disons le malhonnête, de démarrer l’histoire par la fin. Il s’exprimait à ce titre dans Algerie-Actualité de la semaine 14 au 20 Juillet de l’année 1968, propos recueillis par Zhor Zerrari.

« Ils s’amusent, se moquent du peuple. Lorsqu’on les interroge pour essayer de comprendre leur art, le pourquoi de leur art, la réponse le ton aussi est là « vous comprenez…  cela ne se définit pas, c’est difficile… Vous savez la peinture Abstraite… »  Le devoir du peintre était de penser à ceux qui étaient avec eux, à ceux qui vivaient autour d’eux. Car tout le monde peut aimer la peinture. Tout le monde aime la peinture ».

A quoi il ajoutera dans El Moudjahid, 19 avril 1969 propos recueillis par Halim Mokdad

« Je repose le rôle du peintre dans notre pays. Tout art stagnant est un art rétrograde. Tout art qui se veut en avance sur le peuple est un art prétentieux, malhonnête… »

C’est bien de cette recherche de l’identité profonde du peuple Algérien et de sa singularité que porte l’obsession du peintre. Une identité malmenée par cent trente ans de colonisation brutale, de déportation, de démantèlement, qui se sont superposées à des milliers d’années de guerres intestines et d’invasions successives Phéniciennes, Romaines, Vandales, Arabe, Ottomane…  Dans ce même article d’El Moudjahid il dira :

« Il faut constamment respecter ce peuple en restant à son niveau et évoluer avec lui. Il nous faut trouver cette personnalité picturale algérienne. Je me cherche. Je n’ai pas trouvé.

…Or, certains ont voulu imposer une orientation bien précise à la peinture. L’œuvre du peintre doit être celle de tout le monde. On a tellement subi d’influence qu’on n’a pas de personnalité. Quand Kateb Yacine parle d’ancêtre sur une de mes peintures, il finit pas le mot « inespéré »; C’est qu’il lui restera toujours de l’espoir.

Par le figuratif, c’est l’expression du drame de l’Algérien. Il faut mettre l’art plastique au service de ton peuple »

Le peintre M’hamed Issiakhem œuvrera sa vie entière à exhumer l’âme de son peuple, à en révéler la vérité profonde au travers des visages et des textures qui les entourent. Il luttera sans relâche contre le snobisme dans l’art, contre cet entre soi occupé à de longs bavardages autour d’œuvres supposées trop complexes pour être comprises par le peuple.

Pire encore, en constatant le dénigrement de l’histoire artistique du pays en allant en chercher un point de départ au néolithique. Ainsi, négliger l’héritage des frères Racim a constitué pour M’hamed Issiakhem un quasi-révisionnisme. Kateb Yacine répondait à l’injonction de rejeter tout ce que l’Algérien avait acquis pendant la colonisation, dont la langue Française, « c’était mon butin de guerre. »

Voici ce qu’il en disait dans

Algerie-Actualité de la semaine 14 au 20 Juillet de l’année 1968, propos recueillis par Zhor Zerrari

« S’il y a tradition, culture, talent, c’est Mohamed Racim, alors pourquoi vouloir ignorer Racim, pourquoi refuser de se mettre à l’école de Racim. On assassine les miniaturistes et on met en relief les peintres. On ignore les miniaturistes mais on parle de miniature »

Il s’agit là de promouvoir un avenir qui ne fait pas table rase de son passé, mais au contraire en assume toutes les dimensions.

Il appliquera ce même précepte lorsqu’il sera sollicité en 1978 pour protéger par un bas-relief le monument aux morts de la première et seconde guerre mondiale du jardin de l’horloge de l’avenue Pasteur. Un monument qui aurait dû revenir à son supposé propriétaire Français, engagé à l’époque dans une campagne de récupération du patrimoine artistique laissé sur place. Ce monument signé Landowski est encore soigneusement protégé par ce sarcophage.

Ce constat pouvait être généralisé à tous les secteurs ; politique, religieux, linguistique… L’effacement opéré par le colon continuait son œuvre.  Le soutien de M’hamed Issiakhem aux émeutiers et artistes menacés pendant le printemps berbère de Tizi Ouzou de 1980 en témoigne. Il ne verra pourtant jamais de son vivant le berbère reprendre sa place comme langue officielle de l’Algérie.

Ainsi, ramener le débat qui se tenait entre ces mouvements artistiques à de simples querelles de clocher est une simplification anachronique. Les enjeux fondamentaux tenaient à ce que l’Algérie nouvellement décolonisée voulait dire d’elle-même, de ce qu’elle fut et surtout de ce qu’elle désirait devenir.

C’est bien ce que l’artiste s’est obstiné à accomplir, trouver la personnalité picturale algérienne, en dehors de chapelles et surtout des « chefs de file »

« Parce qu’un pays sans peintres sans poètes, sans culture c’est un pays mort. C’est justement après l’indépendance que tu as le sentiment d’être sérieusement engagé. C’est à ce moment-là que tu t’aperçois qu’il règne une grande confusion parmi Ies peintres, Les objectifs des uns ne sont pas les mêmes que ceux des autres. Tu as l’impression qu’on les a réunis pour mieux les désunir. Tu te rends compte qu’ils ne se connaissent pas, qu’ils se séparent avant même de se découvrir… Dans un pays où n’existait pas un marché de la peinture, les artistes se disputaient les faveurs d’un public qui n’existait pas … Il nous fallait être ensemble, laisser un public se dégager. Malheureusement certains voulaient des chefs de file, des écoles… tout le monde voulait être berger, mais un berger sans moutons.

Bref, nous manquons de modestie. Or, un artiste qui manque de modestie n’en est pas un »

En 1967, il y reçoit le prix spécial du jury au Festival international de la télévision au Caire, et en 1968 à Prague pour la réalisation des décors du documentaire « Poussières de Juillet » de Kateb Yacine. Il illustre également Nedjma du même auteur aux Editions Martinsard et signe les décors du film « La voie de Slim Riad », primé au festival de Cannes et Tachkent.

Il réalise par ailleurs le scénario de courts métrages

Photographie fond Issiakhem – Tournage du film Chronique des Années de Braise de Lakhdar Amina – 1977

En 1969, le Jury du premier Festival Culturel Panafricain d’Alger lui décerne le premier prix pour sa toile intitulée  » A la mémoire de… »

 Il acceptera le poste de professeur d’art graphique à l’Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger, en 1971.

M’Hamed épouse Nadia Meryam Cheliout le 20 Septembre de cette année. Avec qui il aura deux fils M’Hamed et Ali Younes respectivement nés en 1972 et 1974.

En 1972 il effectuera un séjour au Vietnam en guerre.

Photographie au Vietnam (M’Hamed Issiakhem en haut vers la gauche)

Il séjournera par la suite à Moscou de novembre 1977 à février 1978 pour recevoir des soins. Il y sera hébergé par Djafar Inal et son épouse Zoulikha Benzine et y réalisera de nombreuses oeuvres. Dont les Chaouïas offerte au Musée d’Art Moderne Algérien , et sur laquelle Souad leur fille a apporté une petite touche personnelle.

Durant cette période M’Hamed réalisera plusieurs affiches pour le théâtre, des maquettes de timbres poste, des maquettes de billet de banque algériens, ainsi que ceux de la Guinee Bissau et de la Mauritanie.

Il prendra part à de nombreuses expositions individuelles et collectives rappelées à la fin de ce texte.

Il élabora par ailleurs les uniformes de la police, de la gendarmerie nationale ainsi que les écussons.

Dans cette continuité M’hamed Issiakhem a été responsable des portraits robots au sein de la police nationale. Chargé de recueillir les témoignages des victimes, le plus souvent rescapées du meurtrier recherché, il établissait les portraits robots sur description permettant leur arrestation. Ce qui permettra en fin des années 70 de résoudre des affaires tragiques qui défrayaient la chronique de l’époque, dont une célèbre affaire de violeur et d’assassin d’enfants multi récidiviste. Le témoignage d’une fillette qui lui échappa miraculeusement entraîna sa chute.  

En 1973 il reçoit la médaille d’or de la foire internationale d’Alger pour son installation.

En 1978, M’hamed recouvre par un bas relief le monument aux morts de la première et seconde guerre mondiale du jardin de l’horloge de l’avenue Pasteur. Ce monument était destiné à être déboulonné et stocké à l’abri avant sa restitution à la France. Le peintre a ainsi été missionné pour l’enfermer sur place derrière une couverture de béton. L’artiste n’a pas signé ce travail qui ne devait être autre chose que ce pour quoi il était destiné, un sarcophage de protection. 

Il reçoit en 1980 un 1er prix « Premio Simba » décerné par l’académie Simba de Rome.

D’autres distinctions se succèderont parmi lesquelles la médaille du Vatican en 1982. Il réalisa le portrait du cardinal Duval.

 Ainsi que la médaille Gueorgui Dimitrov à Sofia en 1983 pour son oeuvre « Dimitrov au procès de Leipzig ».

Il sera cette même année directeur artistique du Musée de l’armée, où il a animé une équipe d’artistes pour la réalisation de portraits de révolutionnaires Algériens et de maquettes de grandes batailles. Toujours visibles au musée.

Sur la photographie suivante l’artiste Mokrani en premier plan. Fidèle à sa vocation de révélateur de talents, Issiakhem insista pour que cet artiste rejoigne l’équipe. D’une culture impressionnante, Mokrani était de ces génies du siècle inadaptés par nature au cadre raisonnable de son époque. Un poète universel, une synthèse du génie Algérien noyé dans un monde de fou.    

A cette période les premiers signes de la maladie qui emportera M’hamed Issiakhem apparaissent.

En 1985, sa qualité de membre de l’OCFLN (organisation civile du front de libération nationale), lui sera reconnue pour la période de 1956 à 1962.

Il meurt d’un cancer dans la nuit du 1er Décembre 1985 à Bainem (Près d’Alger).

« Le commerce est l’ennemi public numéro un de l’art. Lorsqu’un artiste ne respecte pas son œuvre, lorsqu’il la monnaye, lorsqu’il la prostitue, ça peut donner une idée des causes du marasme… En vérité l’artiste algérien est en train de tourner le dos à la réalité nationale »

« Il faut que la peinture cesse d’être le monopole d’une petite classe qui a les moyens d’acheter des tableaux. Il faut donc élargir le terrain, faire en sorte que la peinture soit accessible au plus grand nombre et non à une minorité d’intellectuels. Il faut que l’artiste cesse de dire « je vaux tant ». Il faut accepter que ton œuvre financièrement parlant, ne vaut rien, ou peu, c’est comme ça que je conçois le militant de la peinture. »

C’est ainsi et par fidélité à sa mémoire que 6 œuvres seront offertes en 2001 au

Musée Nationale des Beaux Art d’Alger  par ses proches. Grossesse, Fillette II, Motifs Berbères, Carré Bleu, Oblique, Amertume,

Ses amis de longue date firent de même, à commencer par Hamid Benzine au Musée d’Art Moderne Algérien

Et par la suite Djafar Inal et Zoulikha Benzine, tous deux également amis de longue date du peintre. Leurs dons, dont une liste non exhaustive est illustrée par ce qui suit, contient des chefs-d’œuvre.

L’ensemble de ces oeuvres ont rejoint toutes celles déjà présentes au patrimoine des musées nationaux. Personne ne pourra en faire commerce quel qu’en soit les bonnes raisons. Fin du chapitre.

Le 5 Juillet 1987, la médaille du Mérite national lui sera décernée à titre posthume.

Distinctions

1941

Prix du Maréchal Pétain (Relizane).

1956

Prix de la Croix Marine (en qualité d’Ergothérapeute).qu’il refuse

1962

Passage à la Casa Velasquez (Madrid).

1967

Primé au festival International du Film au Caire pour le film « Poussières de Juillet ».

1968

Primé à Prague pour le film « Poussières de Juillet ».

1968

Primé à Cannes et à Tachkent pour les décors du film « La Voie » de Med Slim Riad

1969

1er prix du festival panafricain pour « A la mémoire de …»

1973

Médaille d’Or à la Foire Internationale (Alger).

1975

Primé au festival de Cannes pour les décors de « Chronique des années de braise »

1980

1er prix « Premio Simba » décerné par l’académie Simba de Rome.

1983

Médaille « Gueorgui Dimitrov » décernée à Sofia.

1983

Médaille du Vatican décernée par le Cardinal DUVAL.

1987

Citation à l’Ordre de la Nation (Alger).